L'article qui suit contient nombres d’éléments révélant des événements majeurs de l'intrigue. Il est impératif d'avoir vu le film avant d'entamer la lecture de cette critique.
Certains films n’ont besoin que de quelques minutes pour prouver à quel point le cinéaste aux commandes est totalement en phase avec le sujet traité. Dés l’introduction de Ready Player One, Steven Spielberg parvient à illustrer tous les enjeux thématiques et technologiques du film. L’ouverture voit le protagoniste Wade Watts parcourir les «stacks» dans le futur dystopique de 2045. Alors qu’il traverse ces bidonvilles, la composition des plans montrent chaque personnes compartimentées individuellement dans une partie de l’image. Que ce soit à travers les vitres de caravanes, ou dans des cadres formés d’arrières de vans, les gens ont leur casques de réalité virtuel vissés sur la tête et ignorent par conséquence l’existence même de Wade. Ce dernier n’est pourtant pas mieux loti puisque la seule personne qui lui adresse la parole est séparé du jeune homme par une corde de rappel qui coupe l’image en deux. Il ne répond même pas à la question de la femme.
Une fois que Wade réfugié dans son bunker improvisé, il enfile alors son casque dans un mouvement de caméra qui lie organiquement le réel au virtuel. Le premier contact avec l’Oasis est une plongée littérale dans un univers sans frontières, sans limites, où tout semble possible. Là encore, il ne suffit que de cet instant pour saisir la pertinence de la technique employée à la création du film. La performance capture est bien le seul moyen qui peut permettre de rendre tangible cet univers fantasmé. Outre cet aspect, l’outil popularisé par Avatar libère à nouveau le réalisateur de Tintin dans la chorégraphie de l’action. De longues prises à la lisibilité sans faille, alors que règne le chaos à tous les coins de l’image. Comme dans cette ahurissante course dans un simili New-York. La musique de Alan Silvestri (Predator, Retour vers le futur), déjà discrète dans la globalité du film, se fait silence devant la démence de cette scène qui atomise n’importe quelles séquences de destructions massives qui pullulent dans les blockbusters et autres films de super-héros actuels.
La 3D stéréoscopique, quant à elle, fait miroiter les détails à l’écran. Le contraste entre les mondes réel et virtuel est d’ailleurs d’autant amplifié, puisque les séquences tournés en cinéma virtuels sont les seuls éléments en relief natif, alors que la réalité est une 2D convertie au volume (et à l’effet volontairement moindre que l’Oasis). Un monde où chacun est cloisonné dans sa bulle, et un autre où tous entrent en collision en permanence. La communication est l’un des sujets majeurs de la filmographie de Spielberg (les exemples les plus marquants sont bien entendu Rencontres du troisième type et E.T.), il est ainsi évident que la principale démarche du film sera de réconcilier ces deux univers.
L’Oasis est un lieu virtuel où l’on peut y rencontrer les avatars des gens qui le peuple. La culture de cet avenir ne semble pas avoir beaucoup évolué comparativement à celui de notre internet moderne, nombreux en effet sont ceux qui s’y déguisent en images et icônes de la pop culture. Ce rapport à l’apparence est d’abord illustré comme une accumulation égocentrique de biens. Les avatars, véhicules, ou objets tirés de multiples licences ne sont que de strictes possessions à la valeur monétaire définie, et qui peuvent être perdues à la défaite du joueur dans une explosion de pièces. Dans les lieux hostiles (la course ou la planète Doom) l’individualisme l’emporte alors, seul compte le besoin d’exister par la somme des acquisitions. La corporation IOI profite allégrement de cette situation, son dirigeant Nolan Sorrento peut y être interprété comme l’exécutif de studios hollywoodiens. Celui qui a absorbe le maximum de propriétés intellectuels pour conquérir les geeks et se les mettre dans la poche, ce sans avoir d’attachement personnel avec les œuvres qu’il agglomère.
Parzival (l’avatar de Wade), se complaît tout d’abord dans ce statut de collectionneur. Aech, le meilleur ami de Parzival, est présenté comme un modeur de talent qui façonne à la demande (et contre payement) des répliques d’objets connus. À l’atelier de ce dernier, Parzival va montrer avec entrain ces créations à une Art3mis guère intéressée. Cette séquence renvoie directement au Elliott de E.T. qui agissait de manière fort similaire, reléguant ainsi Parzival au statut d’enfant qui aura besoin de grandir. La vantardise dont il fait preuve à propos de ses connaissances sur le créateur de l’Oasis, James Halliday, montre qu’il a besoin de retrouver le sens qui réside dans la pop culture qu’il accumule tels des jouets. La quête pour le contrôle de L’Oasis implémentée par Halliday à sa mort sera le catalyseur de cette remise en question. Trois épreuves pour dénicher trois clés cachés, c’est avec ces challenges que le cœur thématique de Ready Player One s’exprime au grand jour. Dans ces épreuves (qui dévient le plus ouvertement du roman dont est tiré le film) Spielberg se remet en question sur la légitimité de son cinéma, réalise l’importance de l’héritage qu’il a laissé, et tend la main pour faire comprendre l’acte de création en lui-même.
Le premier défi est celui de la démente course urbaine détaillé plus haut, où le T-rex de Jurassic Park et King Kong servent d’obstacles à franchir. Une course que personne n’a pu remporter jusqu’à présent, un chevauchée répétée sans fin. Une boucle où l’on risque à chaque instants de finir écraser sous le poids de ces monstres sacrés du grand écran. King Kong est l’un des premiers grands mythes de l’histoire du cinéma, un sommet inatteignable. «On ne peut passer au-dessus de Kong» signale une ligne de dialogue. On pourrait pousser l’analogie plus loin en se souvenant que Spielberg avait déjà rendu hommage au dieu Kong dans le dernier acte de The Lost World, en remplaçant le singe par un T-rex enragé. Avec de telles figures du cinéma de divertissement, cette poursuite met les joueurs face à une stagnation du genre qui ne peut surpasser ses modèles, même en versant dans la surenchère la plus extravagante. Ici Steven Spielberg met en exergue qu’il est bien conscient de ce qu’est devenu le cinéma de blockbuster, alors qu’il en a été l’un des fondateurs et l’a même redéfini plusieurs fois (avec notamment Jurassic Park qui questionnait déjà le monde du divertissent avec son parc d’attraction).
Le cinéaste s’interroge par la suite encore plus sur la valeur de son œuvre. Le choix de The Shining de Stanley Kubrick comme film à explorer dans le second challenge n’a bien sûr rien d’innocent. Le réalisateur de Orange mécanique était un ami et mentor de Steven Spielberg. En ayant repris les rênes du projet A.I. après la mort de Kubrick, le film de 2001 a entraîné d’incessants débats sur la parenté des idées qui le traversent. Et comme nouvel hommage au cinéaste disparu, Spielberg traite ici de l’adaptation du roman d’un Stephen King connu pour dénigrer cette même version. Comme si par ce biais, Spielberg commentait son propre travail d’adaptation à travers sa filmographie ou même directement Ready Player One. Il exécute cette séquence, relevant du tour de force, avec un effort de reconstitution qui n’a sans doute comme égal que les scènes où Marty McFly revisitait les événements du premier Retour vers le futur dans sa suite. L’illusion plastique est telle, que si l’on enlevait les avatars de l’Oasis des décors reproduits, l’on ne pourrait distinguer si l’image provient du film original ou non. La scène rejoue les éléments clés de The Shining mais les remixe, les reliant par Aech qui chute d’un décor à un autre, comme plongé dans un rêve. Ou plutôt tel les fragments d’un film qui flotteraient dans la mémoire de quelqu’un qui l’aurait vu. Le souvenir de Halliday qui associe The Shining à un événement marquant de sa vie. Soit le rappel qu’une œuvre, que ce soit dans la découverte ou la création de celle-ci (l’épreuve se finit avec des zombies tirés du premier jeu vidéo de Halliday), ne peut échapper à son contexte dans le réel, à l’importance de sa place dans la vie d’un artiste.
À ce stade, il est plus que clair que Steven Spielberg dessine son propre portrait sous les traits de James Halliday. Le créateur qui est à la fois submergé sous le poids de ses propres œuvres, et conscient de l’héritage dont il est le géniteur. Mais on peut aussi voir que Spielberg a aussi été Wade par le passé (l’acteur Tye Sheridan porte même une certaine ressemblance avec le réalisateur à l’époque du tournage de Jaws). Parzival porte ainsi le rôle de la relève à l’image de son idole, un cinéphile à qui Spielberg offre les clés de son œuvre. Il s’agit d’une invitation à se construire par la pop culture, et bâtir à partir de ces fondations. Dans l’Oasis, il y a ce musée où est archivé la vie de Halliday. C’est dans ce lieu que Parzival parvient à décoder les indices qui permettent de résoudre les épreuves. Parzival est dressé devant un écran qui retransmet des morceaux de la vie du créateur de l’Oasis. Le relief de la 3d joue énormément dans le sens de ces scènes. La perception du volume scinde l’espace qui sépare ainsi Parzival (le spectateur) avec la retransmission de Halliday (comme l’on pourrait voir Spielberg dans une vidéo making of). De plus ce moments de vie sont filmés avec une vue en légère plongée, un sorte de regard omniscient. Puis, un peu à la manière de la table de montage des visions précogs de Minority Report, Parzival a la capacité de manipuler l’image, changer l’angle, zoomer, rembobiner. Soit un vrai travail de cinéma. Une quête pour mieux décoder l’œuvre du maître au lieu de juste la consommer (encore une fois le choix de The Shining, l’un des films aux multiples interprétations le plus décodé de l’histoire du cinéma, n’a rien d’innocent). Ce qui l’amènera à la première révélation, il doit effectuer la course du premier défi en marche arrière pour passer sous les dangers. Il ne peut plus se contenter de simplement voir et revoir le même divertissement sans rien en tirer. Il doit en déceler les rouages, en roulant sous les coulisses. Il y voit alors les fondations virtuelles qui mettent à jour l’artifice du spectacle, le T-rex est littéralement monté sur une plateforme digne d’un show théâtrale. Il peut ainsi terminé la course en passant sous Kong qui n’est plus un obstacle à surmonter. Assimiler le fonctionnement pour mieux cerner le travail de l’artiste. Un premier pas pour percer les illusions de l’Oasis.
Les reflets et transparences sont l’un des motifs visuels les plus proéminents de la carrière de Steven Spielberg, il tombe alors sous le sens que les visières VR obstruent la vision du monde réel, tout en laissant apparaître le virtuel sur les yeux du porteur. Cela donne non seulement de belles idées de transition entre les deux mondes (comme par exemple ce push-in sur le visage de Wade alors que l’on voit l’image de sa main dans la visière toucher un objet virtuel), tout en soulignant le danger de se laisser absorber par cet univers. Cependant le cinéaste alarme mais ne condamne pas. Il invite à évoluer plutôt qu’à renier l’Oasis. Dans un dialogue entre Nolan et Parzival projeté en hologramme dans le réel, le motif permet justement de caractériser cet enjeu. L’échange commence par des champs/contre-champs entre l’avatar et Nolan. Au moment où Wade perce le jeu de Nolan (il se fait souffler dans l’oreille des références de pop culture, puisque ce dernier n’en a que faire) le rapport change avec une vue sur Wade avec le reflet de Nolan dans sa visière au lieu de montrer l’avatar. Dans un autre cas, la sbire de Nolan traverse une rue en voiture et l’on voit sur la vitre du véhicule le reflet des joueurs qui se rebellent ensemble lors du climax. Cette image emprunte la fin de La Liste de Schindler où ce dernier assistait à la naissance de l’espoir d’un peuple libéré grâce à ses efforts. Ici le bras droit de IOI devient témoin de la révolution engendrée par l’appel de Parzival pour mettre fin à l’oppression de la corporation.
Avant ce soulèvement, Nolan a également été floué par la reconstitution de son bureau par Aech. Il est intéressant ici de relever un autre motif. Les jouets, les modèles réduits, et les maisons de poupées sont déjà apparus plusieurs fois dans la filmographie de Spielberg. Mais parmi celle-ci, ses trois films en 3D présente un relief qui apporte (sans mauvais jeu de mot) une autre dimension au motif. Comme l’on peut dessiner un cadre dans le cadre sur une composition d’image en 2D, Spielberg sculpte lui du volume dans le volume. La licorne sous verre de Tintin qui attire toutes les convoitises. Dans Le BGG Sophie scrute une maison de poupée à l’orphelinat, puis est elle-même placée dans une maison de ce type dans l’arbre de l’atelier du géant. Enfin dans Ready Player One, le salon dans l’atelier de Aech (là où Parzival s’essaye à différents costumes avant son rendez-vous dansant avec Art3mis) est montré comme dénué de quatrième mur, à la manière d’une maison de poupée. De même la reproduction du bureau de Nolan peut également être vu de cette façon, un décor implanté dans un autre décor.
Pour revenir à la percée des illusions, la notion de l’identité à travers la pop culture est abordé non pas comme une tare à corriger (celle des gens qui accumulent les objets pop sans autre objectif que la collection: Parzival au début du film) mais bien comme une armature sur laquelle se construire. C’est là que l’utilisation de certaines références prennent tout leur sens. À commencer par Superman qui comporte trois itérations différentes dans le métrage. L’avatar de Nolan qui arbore l’apparence de Clark Kent dans une version comic book bodybuildé, le directeur de IOI n’a aucune valeurs en commun avec son alter ego virtuel, et porte donc le look d’un super-héros sans en comprendre le sens (soit comme la majorité des films de super-héros produits par les majors qui sortent actuellement en salle). Perzival porte à un moment le costume de Clark incarné par Christopher Reeve, soit la genèse du super-héro au cinéma et le parfait contre-point à l’antagoniste. Enfin Le Géant de fer contrôlé par Aech dont l’élément crucial du film dont il est tiré est le choix du géant de devenir Superman («You are what you choose to be»). D’autant plus que Aech a construit cette réplique du géant, soit un choix conscient d’incarner ce personnage qui l’attache intimement au personnage. Trois versions d’un même personnage qui se rencontrent pour une lutte pour défendre l’identité et l’assimilation des valeurs de la pop culture. Dans le même ordre d’idée Daito (un autre membre de la troupe de héros), invoque la forme d’un Gundam dans sa langue natale, car c’est ce qu’il lui paraît être le choix le plus cohérent avec son bagage culturel, et ce que les protagonistes ont à affronter: MechaGodzilla. Soit une pale copie de Godzilla au look qui ne reprend d’ailleurs aucun designs des films de la Tōhō et semble ressembler au Godzilla du remake de 2014. Une copie de copie en somme.
Le jeu des références est alors intradiégétique. Non seulement elles portent un sens en soi, mais elles sont comprises par les personnages qui utilisent ces points d’ancrage. Quand Aech fait un signe du pouce à l’instar du T-800 dans Terminator 2, il se réapproprie le sens du sacrifice qui y est attaché. On est alors dans une démarche aux antipodes d’une série racoleuse comme Stranger Things, où les renvois nostalgiques citent des plans d’œuvres cultes hors de la diégèse du récit. Cela a comme effet de récompenser à moindre frais les geeks qui se sentent valorisés par la reconnaissance de ces éléments, tout en ne servant aucun propos propre et souffre irrémédiablement de toute comparaisons aux œuvres que la série recrache sans les avoir digérés. Ready Player One lutte contre cet notion, et invite à construire cette culture non pas de manière individualiste, mais dans le partage. Et c’est la clé de la dernière épreuve, où Parzival transmet oralement le sens qui réside dans la quête de l’easter egg du jeu Adventure sur Atari 2600. Une quête qui ne consiste pas à gagner mais à déceler le nom l’auteur qui se cache derrière l’œuvre. Une plongée dans l’imaginaire alors que le monde réel regarde avec attention les actions de Parzival. La communication entre virtuel et réel a été rétabli, c’est la fin d’un rapport égoïste à la pop culture. Lors de la bataille finale, Spielberg jouait déjà avec les actions du virtuel qui se répercutent dans l’Oasis, les gens se battent dans les rues alors qu’ils sont plongés dans le virtuel avec des transitions fluides entre les deux (la charge des spartans de Halo). Mais dans ce finale, il les met à l’unisson en filmant des groupes liés par leur émerveillement (avec la fameuse Spielberg face). c’est l’enjeu de la dernière rencontre avec l’image d’Halliday dans sa chambre d’enfant. Après un échange entre lui et Parzival, Halliday adulte et sa version enfant quittent la pièce presque main dans la main en remerciant Wade d’avoir jeu à son jeu. Parzival vient reprendre le flambeau de la culture laissé par le créateur de l’Oasis pour construire un nouvel avenir sans renier sa part d’enfant. Savoir se réjouir de l’imaginaire sans oublier sa place dans le monde réel. Tout la démarche du cinéma de Steven Spielberg dans une séquence aussi bouleversante que sincère.
Ready Player One est ainsi ce film d’aventure où le spectaculaire retrouve la valeur de sa définition, et aussi une arme précieuse contre la culture doudou qui pollue les médias modernes. Une ode à la pop culture qui invite à renouer avec son sens profond, pour y déceler à nouveau ce que le cinéma peut représenter dans son acte de création et dans l’héritage qu’il peut laisser. Le film de Steven Spielberg s’impose comme une œuvre majeur de cette décennie. Il y perce à jour les dérives de cette génération obnubilé par ses illusions, mais lui tend la main pour l’aider à mieux se construire. En magicien du cinéma qu’il est, il y parvient en repoussant les limites technologiques du cinéma, pour mieux servir le propos sur l’étude des compétences de la démarche artistique. Qui d’autres qu’un des pères de cette pop culture, pouvait mieux comprendre l’importance des enjeux derrière cet imaginaire?
Cet article a été originellement publié sur Chronics Syndrome: